mardi 25 février 2020

Face au drame socio-écologique en RDC, l’urgence d’un triple assainissement


Rivière de bouteilles plastiques à Bukavu. Photo : Jamaa Grands Lacs

Après analyse des mœurs de saleté et d’insalubrité du Kivu, je montre, dans ce billet, l’urgence d’un assainissement des environnements scolaire et universitaire, de l’environnement domestique et surtout l’impératif d’un assainissement de l'environnement mental en RDC. Il ressort des analyses que ce dernier assainissement, le plus fondamental, ne puisse qu’être le fruit d’une éducation alternative, portée par des lieux de formations alternatives ; à l’exemple de l’Université Alternative en Afrique ou encore des blogs sur internet.


Liés, les concepts « écologie » et « RDC » font typiquement penser à la verdure de la cuvette centrale, à la biodiversité congolaise, au fleuve Congo et à ses affluents, aux lacs et rivières congolais … bref, aux imposantes ressources naturelles de la RDC[1].

Cette réflexion n’entend traiter, ni des ressources naturelles, ni de différentes résolutions relatives à leur gestion, telles que promues dans les congrès internationaux ; de la conférence de Rio (1992) aux différentes COP en passant par celles de Kyoto (1997), de Copenhague (2009), de Cancun (2010) ou encore celle de Durban (2011)[2].

Elle se limitera à offrir une analyse qui aide à comprendre le drame socio-écologique qui fait de l’homme congolais un être pollué et pollueur, et ce qu’il convient de faire pour changer positivement la donne.

Le drame socio-écologique de l’homme congolais

Une radioscopie socio-écologique de l’homme congolais dans un environnement comme le Kivu fait paraître une étonnante accoutumance de celui-ci à l’insalubrité. Des hommes et des femmes y vivent dans un tel commensalisme avec la « saleté » que le philosophe congolais Kä Mana parle d’une « culture de la saleté et de l’insalubrité ». Cette culture s’expose nuit et jour dans la cohabitation des quartiers populaires, avec des immondices innombrables, dans les eaux qui stagnent au fond des rigoles infestées de moustiques et inondées de microbes de toutes sortes, cela dans l’impassibilité généralisée des gens face à leur environnement insalubre[3]


Photo : Jamaa Grands Lacs


Des gens y vivent calmement. Ils y respirent sportivement un air nauséabond. Ils y boivent leurs boissons et y mangent leurs nourritures[4], parfaitement au diapason avec un dicton selon lequel « L’homme noir ne meurt pas de saleté ». Les maladies diarrhéiques n’y sont vraiment pas craintes. Même la terreur de grandes épidémies à l’exemple du choléra, ou plus récemment de la maladie à virus Ebola, n’y a pas ouvert une veine de propreté.

La nécessité d’assainir l’environnement mental 

A suivre le problème de très près, le constant du philosophe Kä Mana ne fait pas l’ombre d’un doute : il s’agit des mœurs de saleté et d’insalubrité.Ces mœurs se déploient depuis des années et s’auto-régénèrent au point où elles sont devenues le propre du vécu des individus et des communautés congolaises.Il faut considérer ces mœurs et toute la socio-anthropologie qu’ils induisent pour comprendre ce dont il est véritablement question : des hommes et des femmes formatés pour vivre dans et avec la pollution, des hommes et des femmes formatés pour polluer.
Dans un tel contexte, toute démarche visant à inscrire le respect de l’environnement et de nos espaces de vie au cœur de notre raisonnement,de nos actions et de nos rêves ; se doit de commencer par assainir nos esprits des schèmes ainsi que des logiques de pollution qui les peuplent. Elle se doit de commencer par l’assainissement des environnements mentaux, à travers un travail d’éducation, sinon de rééducation, écologique conséquent. 

La nécessité d’assainir l’environnement domestique

Entant que lieux sociaux de base, les familles ont un très grand rôle à jouer dans ce travail d’éducation écologique. C’est ici et ici essentiellement, que les personnes sont formatées à l’insalubrité à travers des pratiques devenues anodines : mégestion des déchets ménagers, poubelles déversées dans des caniveaux destinés à conduire les eaux des pluies dans le lac, cours sales, ustensiles malpropres, toilettes nauséabondes,immobiliers et mobiliers poussiéreux…
Se pose alors une question : nos familles aujourd’hui, sont-elles pourvues de la conscience écologique nécessaire pour porter et fertiliser un projet d’éducation écologique ? Dans les faits, en effet, les majeurs ne semblent pas moins entraînés dans le drame socio-écologique que les mineurs.

La nécessité d’assainir les environnements scolaires et universitaires

Novembre 2018. Une université de la place invite un professeur spécialisé en Santé Publique pour dispenser des cours, dont « Eau, Hygiène et Assainissement ». Une fois à la maison de passage de l’université où il devait être logé, sa douche se vit retardée de quelques heures puis qu’il n’y avait pas d’eau. Le lendemain, à son arrivé à l’université, sa première œillade aux installations du campus fut marquée par un constant : le campus universitaire brillait par la cochonnerie de ses installations,un manque cuisant en eau et des toilettes en état de délabrement total. Il se décida alors d’entretenir le recteur de l’université à ce sujet. Son discours fut simple : Monsieur le recteur, j’éprouve toutes les difficultés du monde à enseigner « Eau, Hygiène et Assainissement » dans une université manifestement dénouée de tout sens d’Eau, d’Hygiène et d’Assainissement. Je ne saurais illustrer mon cours par des exemples concrets. Votre université m’entoure des contre exemples très imposants.

Ce que l’enseignant visiteur a constaté, c’est la réalité courante dans plusieurs écoles et institutions supérieurs du Congo. Quelle éducation écologique peut-on attendre de telles institutions ?

Conclusion

En RDC, la socio-écologie se caractérise par des mœurs d’insalubrité qui se fondent sur un manque cuisant de conscience écologique. Au fil des années, ce manque s’est nourri et s’est déployé aussi bien dans les milieux sociaux (marchés, hôtels, cabarets) que dans les milieux éducatifs de base(familiales, églises,écoles et universités). Il s’est ainsi crée le drame écologique que nous essayons de décrire dans ce billet. N’étant pas eux-mêmes à l’abri de ce drame, les lieux éducatifs classiques, manifestement incapables de construire et de promouvoir la conscience écologique qu’il nous faut, appellent à leur rescousse des dynamiques comme l’Université Alternative en Afrique.Il y a donc urgence d’une éducation alternative, à même de formater des hommes essentiellement sensibles aux exigences écologiques. Seuls ces humains écologiques[5] pourront fonder des familles écologiquement averties et doter les écoles et les universités classiques de la conscience écologique qui leur manque tant aujourd’hui. L’internet porté par les bloggeurs me semble également pouvoir porter cette éducation alternative.

Vous pouvez aussi me lire dans Sauver l'écologie par l'économie.




[1] UICN/PACO (2010). Parcs et réserves de la République Démocratique du Congo : évaluation de l’efficacité de gestion des aires protégées. Ouagadougou/ Gland.
[2]Degrott J., Klethi P-A, Mersch C., Thiercelin G., Thill J. &Winckel E. (Juin 2015), Résolution sur la conférence de Paris sur le climat (COP 21), Luxembourg, Palament.lu

[3]Lire Ka Mana, « Education écologique et guérison des imaginaires en République démocratique du Congo. Urgences locales et horizon planétaire », in Regards croisés N°36, Goma, Pole Institute, 2019, pp. 65-85.
[4] Ces nourritures comportent des fruits et friandises vendus en plein air à la sauvette à travers les rues. 
[5]Lire Kenmogne J-B (2015), Pour un humanisme écologique. Crise écologique contemporaine et enjeux d’humanité, Yaoundé, Clé. Lire aussi le Pape François (2015), Laudato si’, Lettre encyclique sur la sauvegarde de la maison commune, du 24 mai