vendredi 13 novembre 2020

Pour un espace des productions savantes et novatrices au sein de « African youth mouvement »

 



Chère Présidente de « African youth mouvement »,

C’est avec convoitise et confiance que nous vous présentons, à travers cette note, notre vision de l’Afrique  qui porte l’humanité à un autre palier (Felwine Sarr) dans le champ de la pensée et des productions savantes.

A en croire, le philosophe camerounais Fabien Eboussi Boulaga et le juriste Maurice Kamto,  « l’absence de la pensée » est l’une des réalités qui frappent le plus les esprits qui réfléchissent sur l’Afrique aujourd’hui. Une absence qui se trouve être notoire, ou presque, au sein des générations montantes. On peut entendre par là, comme dirait le professeur Kä Mana, le manque, collectivement visible en milieu de la jeunesse africaine, des capacités à regarder avec lucidité les problèmes qui se posent, à les considérer avec attention dans toutes leurs dimensions, en apercevoir globalement les enjeux et à imaginer les solutions les plus réalistes et les plus pragmatiques. Cette léthargie agonissante imprime sur la jeunesse une marque dénuée de génie créateur à la hauteur du grand concert de l’intelligentsia dans le paysage de la recherche et de la production des savoirs aujourd’hui.

Point n’est besoin de montrer combien une réflexion lucide et éruditement fouillée, ainsi qu’une argumentation scientifiquement établie et dense en milieu des jeunes sont des impératifs à l’invention d’un nouvel esprit africain sur lequel vous travaillez depuis quelques années : l’ambition de faire de notre continent le centre d’un rayonnement mondial, dans un souffle dont l’horizon africain sera lumineux, forcément lumineux, selon le vœu de Wolé Soyinka. 

Si réellement l’égalité intellectuelle est tangible et que l’Afrique devrait sur des thèmes controversés, être capable d’accéder à la vérité par sa propre investigation intellectuelle (Cheik Anta Diop), ne convent-il pas de lancer un réseau de pensée qui met en lien différents chercheurs jeunes dans une visée d’assemblage des pistes réflexives pour qu’une nouvelle Afrique soit possible et joue un atout de taille pour le devenir de l’humanité ?

Au lieu de se mettre à ovationner naïvement et impuissamment des faussetés, des inepties ou encore des propos avilissants qui se tiennent et se promeuvent sur l’Afrique en ces jours, à travers ce réseau de pensée (think thank), la jeunesse africaine  devra travailler dans une perspective de déconstruction des incohérences, des contradictions, des schèmes racistes de l’ethnologie coloniale, de l’essentialisation des Africains et de leurs sociétés, comme le dit le philosophe Benoît Awazi.

Ce n’est pas par miracle que se construit un tel esprit et il ne tombe d’aucun ciel. Il se construit, il s’organise, il s’anime grâce à des espaces et des organisations que l’on fertilise avec des réflexions lucides, prospectives et visionnaires, grâce à la clairvoyance d’un certain leadership qui comprend  dans quelle direction la jeunesse d’un continent doit aller si elle vise la prospérité, le développement, l’influence mondiale et le rayonnement planétaire, pour reprendre Kä Mana et Omer Tshiunza Mbiye.

C’est dans cette visée que nous pourrions répondre en Afrique spécialement aux questions suivantes : Où sommes-nous ? Que nous est-il arrivé ? Que se passe-t-il en ce moment précis de l’histoire de notre continent et de l’humanité ? Comment nous faut-il envisager l’avenir ?

La réponse, si pas une bonne partie de la réponse, se trouve chez Joseph Ki-Zerbo, pour qui, il nous faudrait comme alternative, d’abord un projet d’ensemble : qui sommes-nous ? Où voulons-nous aller ? Depuis que nous sommes indépendants, nous n’avons pas répondu à ces questions. Qu’est-ce-que nous avons fait ? Qu’est-ce nous avons réalisé ? D’où venons-nous ? A partir de cette plateforme, il faudrait mettre sur pied une force de frappe-consistant en idées, en ressources humaines et en organisation qui puisse se tailler une place dans le rapport des forces mondiales.

Cette note est un acte de foi en une possible et impérative force de frappe-consistant en idées dont parle Ki-Zerbo dans une dynamique guidée par des justes éloges d’organisation, de promotion et de réussite et dont vous faites déjà une illustration incontestable dans votre travail sur « la nécessité pour la jeunesse africaine de se faire entendre et d’être aux premiers rangs ». Tient-elle lieu de plaidoyer ou de proposition d’un espace de réflexion et de productions savantes dans cette dynamique.

La capacité des jeunes penseurs d’Afrique à prendre à bras-le-corps les questions que posent nos sociétés africaines et de trouver des réponses riches, réalistes, pragmatiques et fructueuses pour notre temps, nous la connaissons d’expériences. En effet, nous dirigeons à Goma (RDC), une revue des jeunes que publie la « Collection Alternative », une collection qui se doit, conformément à son projet et à son idée directrice, d’être une proposition d’idées pour réfléchir et un jet d’orientations pour agir. Sa visée est de donner des pistes réflexives à même d’ouvrir à nos sociétés des horizons de grandeurs, de prospérité et de bonheur communautaire. Cela grâce aux changements de mode d’être, de penser, d’agir et d’imaginer l’avenir.

Soyez dans l’obligeance de vous laisser guider par le discours de ce billet, non pas naïvement et sans effort, mais avec convoitise et confiance, comme si vous montiez une pente douce qui vous permettrait de découvrir, au sommet, un splendide panorama. Il ne s’agit pas là d’une promesse ou d’un vœu, mais d’un devoir, d’une exigence qui donne globalement un sens au destin de la jeunesse africaine dans un monde en profonde mutation.

Goma, le 28 Septembre 2017


Arsène Ntamusige & Innocent Mpoze

mardi 25 février 2020

Face au drame socio-écologique en RDC, l’urgence d’un triple assainissement


Rivière de bouteilles plastiques à Bukavu. Photo : Jamaa Grands Lacs

Après analyse des mœurs de saleté et d’insalubrité du Kivu, je montre, dans ce billet, l’urgence d’un assainissement des environnements scolaire et universitaire, de l’environnement domestique et surtout l’impératif d’un assainissement de l'environnement mental en RDC. Il ressort des analyses que ce dernier assainissement, le plus fondamental, ne puisse qu’être le fruit d’une éducation alternative, portée par des lieux de formations alternatives ; à l’exemple de l’Université Alternative en Afrique ou encore des blogs sur internet.


Liés, les concepts « écologie » et « RDC » font typiquement penser à la verdure de la cuvette centrale, à la biodiversité congolaise, au fleuve Congo et à ses affluents, aux lacs et rivières congolais … bref, aux imposantes ressources naturelles de la RDC[1].

Cette réflexion n’entend traiter, ni des ressources naturelles, ni de différentes résolutions relatives à leur gestion, telles que promues dans les congrès internationaux ; de la conférence de Rio (1992) aux différentes COP en passant par celles de Kyoto (1997), de Copenhague (2009), de Cancun (2010) ou encore celle de Durban (2011)[2].

Elle se limitera à offrir une analyse qui aide à comprendre le drame socio-écologique qui fait de l’homme congolais un être pollué et pollueur, et ce qu’il convient de faire pour changer positivement la donne.

Le drame socio-écologique de l’homme congolais

Une radioscopie socio-écologique de l’homme congolais dans un environnement comme le Kivu fait paraître une étonnante accoutumance de celui-ci à l’insalubrité. Des hommes et des femmes y vivent dans un tel commensalisme avec la « saleté » que le philosophe congolais Kä Mana parle d’une « culture de la saleté et de l’insalubrité ». Cette culture s’expose nuit et jour dans la cohabitation des quartiers populaires, avec des immondices innombrables, dans les eaux qui stagnent au fond des rigoles infestées de moustiques et inondées de microbes de toutes sortes, cela dans l’impassibilité généralisée des gens face à leur environnement insalubre[3]


Photo : Jamaa Grands Lacs


Des gens y vivent calmement. Ils y respirent sportivement un air nauséabond. Ils y boivent leurs boissons et y mangent leurs nourritures[4], parfaitement au diapason avec un dicton selon lequel « L’homme noir ne meurt pas de saleté ». Les maladies diarrhéiques n’y sont vraiment pas craintes. Même la terreur de grandes épidémies à l’exemple du choléra, ou plus récemment de la maladie à virus Ebola, n’y a pas ouvert une veine de propreté.

La nécessité d’assainir l’environnement mental 

A suivre le problème de très près, le constant du philosophe Kä Mana ne fait pas l’ombre d’un doute : il s’agit des mœurs de saleté et d’insalubrité.Ces mœurs se déploient depuis des années et s’auto-régénèrent au point où elles sont devenues le propre du vécu des individus et des communautés congolaises.Il faut considérer ces mœurs et toute la socio-anthropologie qu’ils induisent pour comprendre ce dont il est véritablement question : des hommes et des femmes formatés pour vivre dans et avec la pollution, des hommes et des femmes formatés pour polluer.
Dans un tel contexte, toute démarche visant à inscrire le respect de l’environnement et de nos espaces de vie au cœur de notre raisonnement,de nos actions et de nos rêves ; se doit de commencer par assainir nos esprits des schèmes ainsi que des logiques de pollution qui les peuplent. Elle se doit de commencer par l’assainissement des environnements mentaux, à travers un travail d’éducation, sinon de rééducation, écologique conséquent. 

La nécessité d’assainir l’environnement domestique

Entant que lieux sociaux de base, les familles ont un très grand rôle à jouer dans ce travail d’éducation écologique. C’est ici et ici essentiellement, que les personnes sont formatées à l’insalubrité à travers des pratiques devenues anodines : mégestion des déchets ménagers, poubelles déversées dans des caniveaux destinés à conduire les eaux des pluies dans le lac, cours sales, ustensiles malpropres, toilettes nauséabondes,immobiliers et mobiliers poussiéreux…
Se pose alors une question : nos familles aujourd’hui, sont-elles pourvues de la conscience écologique nécessaire pour porter et fertiliser un projet d’éducation écologique ? Dans les faits, en effet, les majeurs ne semblent pas moins entraînés dans le drame socio-écologique que les mineurs.

La nécessité d’assainir les environnements scolaires et universitaires

Novembre 2018. Une université de la place invite un professeur spécialisé en Santé Publique pour dispenser des cours, dont « Eau, Hygiène et Assainissement ». Une fois à la maison de passage de l’université où il devait être logé, sa douche se vit retardée de quelques heures puis qu’il n’y avait pas d’eau. Le lendemain, à son arrivé à l’université, sa première œillade aux installations du campus fut marquée par un constant : le campus universitaire brillait par la cochonnerie de ses installations,un manque cuisant en eau et des toilettes en état de délabrement total. Il se décida alors d’entretenir le recteur de l’université à ce sujet. Son discours fut simple : Monsieur le recteur, j’éprouve toutes les difficultés du monde à enseigner « Eau, Hygiène et Assainissement » dans une université manifestement dénouée de tout sens d’Eau, d’Hygiène et d’Assainissement. Je ne saurais illustrer mon cours par des exemples concrets. Votre université m’entoure des contre exemples très imposants.

Ce que l’enseignant visiteur a constaté, c’est la réalité courante dans plusieurs écoles et institutions supérieurs du Congo. Quelle éducation écologique peut-on attendre de telles institutions ?

Conclusion

En RDC, la socio-écologie se caractérise par des mœurs d’insalubrité qui se fondent sur un manque cuisant de conscience écologique. Au fil des années, ce manque s’est nourri et s’est déployé aussi bien dans les milieux sociaux (marchés, hôtels, cabarets) que dans les milieux éducatifs de base(familiales, églises,écoles et universités). Il s’est ainsi crée le drame écologique que nous essayons de décrire dans ce billet. N’étant pas eux-mêmes à l’abri de ce drame, les lieux éducatifs classiques, manifestement incapables de construire et de promouvoir la conscience écologique qu’il nous faut, appellent à leur rescousse des dynamiques comme l’Université Alternative en Afrique.Il y a donc urgence d’une éducation alternative, à même de formater des hommes essentiellement sensibles aux exigences écologiques. Seuls ces humains écologiques[5] pourront fonder des familles écologiquement averties et doter les écoles et les universités classiques de la conscience écologique qui leur manque tant aujourd’hui. L’internet porté par les bloggeurs me semble également pouvoir porter cette éducation alternative.

Vous pouvez aussi me lire dans Sauver l'écologie par l'économie.




[1] UICN/PACO (2010). Parcs et réserves de la République Démocratique du Congo : évaluation de l’efficacité de gestion des aires protégées. Ouagadougou/ Gland.
[2]Degrott J., Klethi P-A, Mersch C., Thiercelin G., Thill J. &Winckel E. (Juin 2015), Résolution sur la conférence de Paris sur le climat (COP 21), Luxembourg, Palament.lu

[3]Lire Ka Mana, « Education écologique et guérison des imaginaires en République démocratique du Congo. Urgences locales et horizon planétaire », in Regards croisés N°36, Goma, Pole Institute, 2019, pp. 65-85.
[4] Ces nourritures comportent des fruits et friandises vendus en plein air à la sauvette à travers les rues. 
[5]Lire Kenmogne J-B (2015), Pour un humanisme écologique. Crise écologique contemporaine et enjeux d’humanité, Yaoundé, Clé. Lire aussi le Pape François (2015), Laudato si’, Lettre encyclique sur la sauvegarde de la maison commune, du 24 mai