Photo :
image d’un tableau de Akilimali Mukanirwa Christophere, jeune dessinateur
congolais.
Dans mon ouvrage à paraitre dans un proche avenir,
j’essaie de poétiser la réalité sociale africaine et essaie de penser une
Afrique debout, qui compte et sur laquelle le monde puisse compter dans ses
transmutations actuelles. Etant encore
au correcteur, je l’ai fait lire au Père Christain Mukadi, SJ, du
Catholic-Jesuit Center (Sophia University, Tokyo, Japon).
Sa réflexion sur mes
intuitions me semble aussi bien utile tant pour le camp des jeunes littérateurs
auquel j’appartiens que pour toute personne intéressée par l’Afrique comme
sujet et/ou objet de réflexion.
Chers
lecteurs, c’est à la suite de l’élan festif, qui coiffe Noël et le basculement
progressif de l’an 2019 dans l’évanescence de la temporalité finie des mortels
(Benoît Awazi), que je me propose de vous partager les lignes qui suivent.
C’est, en
effet, rare que je vous partage mes confidences. Si je le fais en ce moment
précis, c’est dans l’espoir qu’à côté de la brasserie et de la machine
gastronomique[1] du
Guetre (Ngulu ou viande porc), de la
viande de chèvre, du bœuf ou de vache, des poissons du lac Kivu au Bugali –
foufou –, Birahi – Pommes de terre – , du Wali Pilao ou du Foutare (Goma,
Bukavu) ; du Shima ou du Bidjia (Kinshasa) ; des Bananes verts de
Kigali ; du Thiéboudieune (riz au poisson), du Yassa au poulet, du Thiéré
ou du Ngourbane (Sénégal) ; du Wô, ou de l’Azin Nousounou (Bénin) ;
du Tchou (pomme de terre-haricots) ou du Koki, (Cameroun)
; de l’Ablo, de l’Aymolou
ou du Tibani (Togo) ; de l’Atiéké ou de l’Aloko (Cote d’Ivoire) … nous songions à nourrir nos esprits. Joyeux
Noël 2019 et Bonne année 2020!
Lettre du Père Christian
Mukadi, SJ
Cher
Ntamusige,
Paix !
J’ai reçu
du Père Luka Lusala, SJ, ton texte ça fera bientôt un mois. J’aimerai tout
d’abord m’excuser pour le retard avec lequel je te le retourne. En effet, il
m’est parvenu à un moment où nous préparions la visite du Pape à Sophia University ici à Tokyo au
Japon.
Félicitation
pour ce beau travail de l’esprit que tu as réalisé. J’ai beaucoup aimé ton
style. Je sens en filigrane un fond de
lecture sociale. Tu dépeins la société Africaine. Ce qui est une démarche
importante pour les nouvelles générations de chercheurs et penseurs
africain(e)s.
Tu verras
quelques commentaires et corrections de la forme et du fond sur ton texte.
Toutefois, j’aimerais souligner deux points d’ordre méthodologique et
épistémologique :
Méthodologie
I.
La
littérature des Africain(e)s sur l’Afrique manque une certaine dimension
d’analyse sociale percutant, c’est-à-dire la théorisation de nos réalités
sociales. Sur ce point la musique urbaine, la peinture, etc. ont une longueur
d’avance. Lorsque l’on lit entre les lignes la majorité des auteurs Africains,
surtout ceux de la Postcolonie,
l’on se rend compte qu’ils se limitent à dénoncer la Crise du Muntu (Eboussi), la pauvreté de l’Imaginaire (Ka Mana), la grande nuit de l’Afrique (Mbembe), ou qu’Ils proposent une certaine Invention of Africa (Mudimbe), ou une Afrotopia (Sarr), etc. Mais en réalité ils ne
proposent pas une analyse sociale pluridisciplinaire percutante a même de
théoriser le vécu de l’africain qui se déroule sous la modalité du
tragi-comique. La théorisation du vécu permet non de répéter mais de créer le
savoir. C’est aux nouvelles générations de faire cette analyse sociale, cette
théorisation de la réalité sociale de l’Africain afin de ne pas nous réduire au
seul rôle de fournisseurs des donnes dont le monopole d’interprétation
appartiendrait à l’Occident. Je pense
que Achille Mbembe l’avait déjà remarqué dans une tribune sure :
Épistémologique
II.
Vue que
la crise africaine est aussi épistémologique, l’enjeu épistémologique pour la
pensée africaine est la capacité des nouvelles générations de sortir de
l’eurocentrisme. C’est en ce sens que les intuitions de Anta Diop, Obenga et
leurs suivants sont pertinentes. Il nous faut redécouvrir nos origines
Égyptiennes antiques et les exploiter à fond dans notre projet de construction
d’une Afrique qui donne des raisons d’espérer.
Bon
courage pour la suite. La lutte pour la libération de l’Afrique est encore
longue…
Réponse de Arsène
Ntamusige
Photo :
image d’un tableau de Akilimali Mukanirwa Christophere.
Bien cher
Père,
Paix et
santé !
A mon
tour de m’excuser de mon retour tardif.
Je vous
remercie infiniment de votre lecture manifestement enthousiaste de mon
opuscule. Je vous remercie de l’intérêt que vous portez à mes modestes travaux
de jeune encore apprenti en sciences et en belles lettres. Je remercie, de tout
cœur, le père Luka Lusala lu ne Nkuka, qui a eu la bonté de vous mettre sur la
trajectoire de ma vie littéraire et scientifique. Que le bon Dieu vous comble
de sa miséricorde et qu’il vous rende au centuple les services que vous me
rendez !
Votre
verbe est engagé. Et je le trouve aussi engageant. La critique que vous
adressez à certains de mes maîtres me semble juste et bien fondée. Kasereka Kavwahirehi
l’a, dans une certaine mesure, bien théorisée dans ses deux derniers ouvrages
(Y’en a marre et L’Afrique entre passé et futur). Je me propose de vous
partager quelques réflexions récentes de Kä Mana, dont je suis un élève
attentif et que j’assiste à l’université Alternative en Afrique de Pole
Institute.
J’ai
participé à la première édition de l’Ecole Doctorale des Ateliers de la Pensée
de Dakar organisée par Felwine Sarr et Achille Mbembe en janvier dernier. Ce
fut une expérience très engeante sur la nécessité des jeunes penseurs africains
– que nous sommes – d’apprendre à décrire notre réel et à le théoriser de façon
à l’imposer dans le concert mondial de l’intelligentsia. Les travaux des amis
artistes furent particulièrement impressionnants : ils étaient tels
« ce juge du village qui venait planter son miroir au carrefour pour que
chacun vienne s’y regarder et découvrir son vrai visage, débarrassé du masque
qui le couvrait au quotidien », pour reprendre ces mots du prof Mondo
Mumbanza, dans sa lecture de la carrière artistique et musicale de Lutumba
Simaro et Luambo Franco (Congo-Afrique (n°535) de Mai 2019, pp. 464-481). Je ne
puis en dire moins des jeunes cinéastes, chorégraphes, slameurs, dramaturges,
peintres, dessinateurs (…) en pleine ascension dans ma ville, Goma, portés par
des espaces culturels comme Yole!Africa, la Maison des jeunes, l’Institut
français, GAARJ, Bella Zik, Zik+, l’IAO (...).
Oui, la
route vers la libération de l’Afrique est encore longue. Très longue. Mais vous
éclairez déjà le sentier à votre manière, la belle manière, pour parodier
Mbembe : celle qui entretient le souffle nécessaire pour aller de l’avant.
Nous sommes derrière vous. Nous cheminons dans votre direction, avec zèle et
confiance. En effet, comment un jeune de
mon temps engagé dans cette lutte maquerait-il de zèle ou de confiance ?
Après le sentier brillamment tracé par Cheikh Anta Diop, la voie entretenue par
Obenga, le souffle de Boulaga, Ella, Mudimbe, Kä Mana (…) et les lumières
d’autres éclaireurs africains d’hier et de nos jours ? Dans une certaine
mesure, notre lutte s’annonce aisée. Mais elle ne s’annonce pas moins hardie
pour autant : dans les champs des sciences et des productions savantes,
nous avons encore beaucoup à faire. Dans toutes les disciplines. Chez nous en
agronomie par exemple, nous peinons encore assez à décrypter la réalité agraire
africaine, de nous-même et par nous-même, loin des commodités néocoloniales et
néolibérales qui nous réduisent à la survie et qui, comme dirait le prof Dieudonné Musibino Eyul’Anki,
nous relèguent au rang des mercenaires en activité dans une zone
opérationnelle, qui n’est rien d’autre que notre propre sol. Disons-le
simplement : ces commodités devenues pompeusement universelles ne nous
permettent ni de trouver des solutions africaines aux problèmes africains, ni
de proposer des solutions africaines aux problèmes de notre temps.
Je porte à cœur vos remarques. J’essaie d’intégrer vos
amendements. Je vous tiendrai informé de la suite et n’hésiterai pas de revenir
vers vous avant de proposer le texte à l’éditeur. Sur ce point précis,
pouvez-vous me proposer un éditeur ? Ce sera ma première expérience de
publication d’un livre. Je souhaite le faire lire au plus grand nombre de mes
paires jeunes africains.
J’anime un blog personnel (www.fiction-action.blogspot.com). J’y partage de petites
réflexions sur des sujets de sociétés. La dernière consistait en une œillade
critique sur le Plan National du Numérique congolais. Vous pouvez y jeter un
œil si vous du temps.
Imo pectore,
[1] Le Centre de Recherches Pluridisciplinaires sur
les Communautés d’Afrique noire et des diasporas (CERCLECAD, Ottawa, Canada) a
élaboré une longue liste d’énumération des nourritures les plus prisées dans
les communautés africaines sur le continent et dans les diasporas. Voir la
liste au www.cerclecad.org .
C'est un est très bon post cher Arsène
RépondreSupprimerMerci bien cher Manolo !
SupprimerSalutations