Par Innocent Mpoze[1]
En 1913 quand le pape Léon XIII publie sa lettre
encyclique « Rerum novarum », il fait montre d’une adhésion totale à l’idée
qui sera au cœur de l’action sociale de l’Eglise qui veut que les peines et les
joies des hommes soient aussi celles de l’Eglise. Dans un contexte d’une industrialisation
croissante qui modifiait considérablement et de plus en plus le rapport entre patrons et ouvriers, ce souverain
pontifie réussit à lancer le grand chantier de la doctrine sociale de l’Eglise
qui trouvera sa continuité dans les publications continuelles et permanentes du
Magistère face aux problèmes sociaux pour aider les peuples et les gouvernants
à organiser des sociétés plus humaines et plus conformes au dessin de Dieu sur
le monde. C’est dans cette esprit que le pape François trouve aujourd’hui qu’ « on
ne peut affronter le scandale de la pauvreté en promouvant des stratégies de
limitation qui se contentent seulement de tranquilliser et de transformer
les pauvres en êtres domestiqués et
inoffensifs. »
Pouvons-nous inscrire ces écrits du
Magistère dans le courant de « la théologie prophétique qui est
essentiellement déconstructrice, iconoclaste et révolutionnaire parce qu’elle
laisse apparaître l’incandescence du Mystère de Dieu qui se révèle comme garant
du droit et de la justice dans la vie sociale et politique (Benoit Awazi) » ?
Dans leur percée, ces écrit font preuve d’un long prolongement de la mission
prophétique de mise en garde contre toute forme d’organisations ou de pratiques
pouvant porter atteinte au développement vraiment humain en agissant au cœur
des crises, des tragédies et des prouesses de l’histoire des hommes.
Intéressés par trois documents du Pape
François, Evangelii Gaudium, Laudato Si et Amoris Laetitiae, le professeur Innocent Nyirindekwe et M. Bernardin
Ulimwengu sont convaincus que malgré leur langage familier, les écrits du
pape François nécessitent un travail de
vulgarisation pour qu’ils soient accessibles à tout le peuple de Dieu se
trouvant partout au monde. D’où leur lecture synoptique dont le but est de faciliter non seulement la
lecture mais aussi la compréhension de l’enseignement du pape en vue de
l’action pour le changement de la société de notre temps.
La première partie qui porte sur les
aspects généraux de la doctrine sociale de l’Eglise, parle de l’aspect
dynamique de la Doctrine Sociale de l’Eglise en montrant en quoi la Bible
contient bien d’exemples par lesquels la prophétie fait des prophètes des
véritables éveilleurs des consciences en vue d’un mieux-être-ensemble sur la
terre, comme pour dire que le Nouveau Testament et l’Ancien Testament
contiennent des passages porteurs de l’enseignement que promeut la Doctrine
Sociale de l’Eglise.
En présentant Rerum novarum de Léon XIII, Quadragessimo
anno de Pie XI, Pacem in Terris
de Jean XXIII et le Concile Vatican II, les auteurs montrent comment il est
important que soit d’abord et avant tout compris le principe de base de la
doctrine sociale de l’Eglise avant d’en faire une quelconque lecture. Ce
principe de base est celui de la dignité
de la personne humaine que saint Jean-Paul II reprend de la manière
suivante : quand les individus et les communautés ne voient
pas rigoureusement respectées les exigences morales, culturelles et
spirituelles fondées sur la dignité de la personne et sur l'identité propre de
chaque communauté, à commencer par la famille et par les sociétés religieuses,
tout le reste - disponibilité de biens, abondance de ressources techniques
appliquées à la vie quotidienne, un certain niveau de bien-être matériel -
s'avérera insatisfaisant et, à la longue, méprisable. On peut aussi lire à ce titre Populorum progessio où le pape Paul
VI souligne qu’un vrai développement est
celui qui est intégral pour l’homme, solidaire
pour toute l’humanité et ouvert à la culture ainsi qu’aux valeurs suprêmes dont
Dieu est la source et le terme. Ici se situe la mise en échec total de
l’usurpation des prérogatives divines présidée par la modernité occidentale,
nihiliste et athée. Jean-Paul II l’écrit encore fort clairement : quand l'homme désobéit
à Dieu et refuse de se soumettre à son pouvoir, la nature se rebelle contre lui
et elle ne le reconnaît plus comme son seigneur, car il a obscurci en lui
l'image divine. N’est-ce
pas là la cause de la crise actuelle de la modernité occidentale ?
S’agissant des valeurs fondamentales de la
doctrine sociale de l’Eglise, les auteurs reprennent Saint Jean XXIII qui
affirme que « la doctrine
sociale chrétienne a pour lumière la Vérité, pour objectif la Justice et pour
force dynamique l'Amour. Son principe de base est que les êtres humains sont et
doivent être fondement, but et sujets de toutes les institutions où se
manifeste la vie sociale » L’Eglise
doit donc se rassurer que les efforts du développement prennent compte de la
dignité humaine.
La deuxième partie qui traite d’une partie
de l’enseignement du Pape François porte sur la continuité de son enseignement
en en soulignant le lien avec celui de ses prédécesseurs pour enfin en faire la
lecture synoptique.
Dans le point portant sur la continuité de
son enseignement dans la doctrine sociale, les auteurs montrent comment la
doctrine catholique millénaire trouve sa continuité dans l’enseignement du
Magistère vivant bien que dans une inspiration franciscaine dont trois
caractéristiques inspirées de François d’Assise : la proposition d’un chemin de conversion par une sortie de soi, un style prophétique avec un volet critique
de dénonciation qui ne tombe cependant pas dans le catastrophisme et un style contemplatif qui se manifeste dans
la capacité de percevoir la profondeur des relations vitales qui nous
constituent comme des êtres créés, à l’écoute de l’Evangile du règne de Dieu.
De ces trois caractéristiques de son enseignement, de ses écrits
complémentaires surgissent de nouveaux principes dont le pluralisme et le dialogue,
l’écoute et le discernement. Présentée dans un tableau, la lecture synoptique
de « Evangelii Gaudium », « Laudato si » et « Amoris
Laetitiae » en ressort les différences et les points de rencontre.
En dénonçant les méfaits de la modernité
néolibérale, dans « la joie de l’Evangile », le pape nous invite à
dire non à la logique de l’économie marchande et néolibérale en faisant
« reculer le marché et non pas l’humaniser dans une mobilisation mondiale
où on pense l’impensable et ou parfois l’impossible advient » comme le
dirait Serge Halimi. Dans Loué sois-tu
mon Seigneur, le Pape François nous appelle à la sauvegarde de notre maison commune qu’est la terre. Dans
« Amoris Laetitiae », il est question de nous inviter à ne pas désespérer à cause de nos limites, et
en même temps, ne pas renoncer à chercher la plénitude d’amour et de communion
qui nous a été promise. Dans ses écrits, comme l’affirment les auteurs, le
Pape propose des voies pour la marche de l’Eglise et l’humanité toute entière
vers un futur où chacun et tous ont droit au mieux-être, à partir des familles
(Eglise domestique) où l’engagement est de fidélité et de stabilité.
A travers cette
lecture synoptique qui tient ensemble les trois œuvres du souverain pontife
actuel, les auteurs ont non seulement le mérite d’ouvrir à la lecture de la
Doctrine Sociale en facilitant sa compréhension à partir de ses bases
fondamentales mais aussi de rendre accessible la pensée profonde du Pape
François. Il sied aussi de mentionner ici qu’après sa lecture, cet opuscule
conduit à la question de savoir comment nous approprier effectivement la pensée
du Pape François dans un monde où l’idolâtrie du savoir et du pouvoir
inhumanisent la société, comment mettre en déroute la course insensée et
inhumaine derrière le matériel qui fait vivre le capitalisme vampire actuel, comment
sortir de la logique du matérialisme rampant qui gouverne le monde d’aujourd’hui.
Ce sont là les questions que l’Eglise ne peut cesser de se poser et de creuser,
pour orienter l’humanité selon le projet de Dieu.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire