jeudi 15 février 2018

Innocent Nyirindekwe et Bernardin Ulimwengu, Lecture synoptique de l'enseignement social du Pape François, Paris, éditions universitaires européennes, 2018




Par Innocent Mpoze[1]

En 1913 quand le pape Léon XIII publie sa lettre encyclique « Rerum novarum », il fait montre d’une adhésion totale à l’idée qui sera au cœur de l’action sociale de l’Eglise qui veut que les peines et les joies des hommes soient aussi celles de l’Eglise. Dans un contexte d’une industrialisation croissante qui modifiait considérablement et de plus en plus le rapport entre patrons et ouvriers, ce souverain pontifie réussit à lancer le grand chantier de la doctrine sociale de l’Eglise qui trouvera sa continuité dans les publications continuelles et permanentes du Magistère face aux problèmes sociaux pour aider les peuples et les gouvernants à organiser des sociétés plus humaines et plus conformes au dessin de Dieu sur le monde. C’est dans cette esprit que le pape François trouve aujourd’hui qu’ « on ne peut affronter le scandale de la pauvreté en promouvant des stratégies de limitation qui se contentent seulement de tranquilliser et de transformer les  pauvres en êtres domestiqués et inoffensifs. »
Pouvons-nous inscrire ces écrits du Magistère dans le courant de « la théologie prophétique qui est essentiellement déconstructrice, iconoclaste et révolutionnaire parce qu’elle laisse apparaître l’incandescence du Mystère de Dieu qui se révèle comme garant du droit et de la justice dans la vie sociale et politique (Benoit Awazi) » ? Dans leur percée, ces écrit font preuve d’un long prolongement de la mission prophétique de mise en garde contre toute forme d’organisations ou de pratiques pouvant porter atteinte au développement vraiment humain en agissant au cœur des crises, des tragédies et des prouesses de l’histoire des hommes.
Intéressés par trois documents du Pape François, Evangelii Gaudium, Laudato Si et Amoris Laetitiae, le professeur Innocent Nyirindekwe et M. Bernardin Ulimwengu sont convaincus que malgré leur langage familier, les écrits du pape  François nécessitent un travail de vulgarisation pour qu’ils soient accessibles à tout le peuple de Dieu se trouvant partout au monde. D’où leur lecture synoptique dont le but est de faciliter non seulement la lecture mais aussi la compréhension de l’enseignement du pape en vue de l’action pour le changement de la société de notre temps.
La première partie qui porte sur les aspects généraux de la doctrine sociale de l’Eglise, parle de l’aspect dynamique de la Doctrine Sociale de l’Eglise en montrant en quoi la Bible contient bien d’exemples par lesquels la prophétie fait des prophètes des véritables éveilleurs des consciences en vue d’un mieux-être-ensemble sur la terre, comme pour dire que le Nouveau Testament et l’Ancien Testament contiennent des passages porteurs de l’enseignement que promeut la Doctrine Sociale de l’Eglise.
En présentant Rerum novarum de Léon XIII, Quadragessimo anno de Pie XI, Pacem in Terris de Jean XXIII et le Concile Vatican II, les auteurs montrent comment il est important que soit d’abord et avant tout compris le principe de base de la doctrine sociale de l’Eglise avant d’en faire une quelconque lecture. Ce principe de base est celui de la  dignité de la personne humaine que saint Jean-Paul II reprend de la manière suivante : quand les individus et les communautés ne voient pas rigoureusement respectées les exigences morales, culturelles et spirituelles fondées sur la dignité de la personne et sur l'identité propre de chaque communauté, à commencer par la famille et par les sociétés religieuses, tout le reste - disponibilité de biens, abondance de ressources techniques appliquées à la vie quotidienne, un certain niveau de bien-être matériel - s'avérera insatisfaisant et, à la longue, méprisable. On peut aussi lire à ce titre Populorum progessio où le pape Paul VI souligne qu’un  vrai développement est celui  qui est intégral pour l’homme, solidaire pour toute l’humanité et ouvert à la culture ainsi qu’aux valeurs suprêmes dont Dieu est la source et le terme. Ici se situe la mise en échec total de l’usurpation des prérogatives divines présidée par la modernité occidentale, nihiliste et athée. Jean-Paul II l’écrit encore fort clairement : quand l'homme désobéit à Dieu et refuse de se soumettre à son pouvoir, la nature se rebelle contre lui et elle ne le reconnaît plus comme son seigneur, car il a obscurci en lui l'image divine. N’est-ce pas là la cause de la crise actuelle de la modernité occidentale ?
S’agissant des valeurs fondamentales de la doctrine sociale de l’Eglise, les auteurs reprennent Saint Jean XXIII qui affirme que « la doctrine sociale chrétienne a pour lumière la Vérité, pour objectif la Justice et pour force dynamique l'Amour. Son principe de base est que les êtres humains sont et doivent être fondement, but et sujets de toutes les institutions où se manifeste la vie sociale »  L’Eglise doit donc se rassurer que les efforts du développement prennent compte de la dignité humaine.
La deuxième partie qui traite d’une partie de l’enseignement du Pape François porte sur la continuité de son enseignement en en soulignant le lien avec celui de ses prédécesseurs pour enfin en faire la lecture synoptique.
Dans le point portant sur la continuité de son enseignement dans la doctrine sociale, les auteurs montrent comment la doctrine catholique millénaire trouve sa continuité dans l’enseignement du Magistère vivant bien que dans une inspiration franciscaine dont trois caractéristiques inspirées de François d’Assise : la proposition d’un chemin de conversion par une sortie de soi, un style prophétique avec un volet critique de dénonciation qui ne tombe cependant pas dans le catastrophisme et un style contemplatif qui se manifeste dans la capacité de percevoir la profondeur des relations vitales qui nous constituent comme des êtres créés, à l’écoute de l’Evangile du règne de Dieu. De ces trois caractéristiques de son enseignement, de ses écrits complémentaires surgissent de nouveaux principes dont le pluralisme et le dialogue, l’écoute et le discernement. Présentée dans un tableau, la lecture synoptique de « Evangelii Gaudium », « Laudato si » et « Amoris Laetitiae » en ressort les différences et les points de rencontre.
En dénonçant les méfaits de la modernité néolibérale, dans « la joie de l’Evangile », le pape nous invite à dire non à la logique de l’économie marchande et néolibérale en faisant « reculer le marché et non pas l’humaniser dans une mobilisation mondiale où on pense l’impensable et ou parfois l’impossible advient » comme le dirait Serge Halimi. Dans Loué sois-tu mon Seigneur, le Pape François nous appelle à la sauvegarde  de notre maison commune qu’est la terre. Dans « Amoris Laetitiae », il est question de nous inviter  à ne pas désespérer à cause de nos limites, et en même temps, ne pas renoncer à chercher la plénitude d’amour et de communion qui nous a été promise. Dans ses écrits, comme l’affirment les auteurs, le Pape propose des voies pour la marche de l’Eglise et l’humanité toute entière vers un futur où chacun et tous ont droit au mieux-être, à partir des familles (Eglise domestique) où l’engagement est de fidélité et de stabilité.
A travers cette lecture synoptique qui tient ensemble les trois œuvres du souverain pontife actuel, les auteurs ont non seulement le mérite d’ouvrir à la lecture de la Doctrine Sociale en facilitant sa compréhension à partir de ses bases fondamentales mais aussi de rendre accessible la pensée profonde du Pape François. Il sied aussi de mentionner ici qu’après sa lecture, cet opuscule conduit à la question de savoir comment nous approprier effectivement la pensée du Pape François dans un monde où l’idolâtrie du savoir et du pouvoir inhumanisent la société, comment mettre en déroute la course insensée et inhumaine derrière le matériel qui fait vivre le capitalisme vampire actuel, comment sortir de la logique du matérialisme rampant qui gouverne le monde d’aujourd’hui. Ce sont là les questions que l’Eglise ne peut cesser de se poser et de creuser, pour orienter l’humanité selon le projet de Dieu.


[1] Etudiant à l’université catholique la Sapientia.